ASSOCIATION LAÏQUE D’INTÉRÊT GÉNÉRAL
 
 

Papa où t’es ?

Papa où t’es ?
12 janvier 2020 isabelle.duhau

Lola Le Scouarnec, une des psychologues de notre service de placement éducatif à domicile (PEAD) « Regain » aux Arcs-sur-Argens publie un article dans le numéro 1263 de Lien Social de déc 2019-janv. 2020.

 

« La famille monoparentale est aujourd’hui devenue l’une des variantes classiques de la famille traditionnelle.

Majoritairement portée par des mères, il nous semble que les institutions et structures ont du mal à admettre qu’un père puisse s’occuper seul de ses enfants. C’est pourtant une famille que nous croisons de plus en plus fréquemment. Exerçant dans un service de placement éducatif à domicile[1], nous sommes souvent amenés à travailler avec ces pères élevant seuls leurs enfants, pour diverses raisons ; mère présentant une pathologie psychiatrique importante ou une addiction pouvant mettre ses enfants en danger, des carences éducatives majeures, maltraitante, incarcérée… Et force est de constater que les possibilités qui leurs sont offertes ne sont pas les mêmes qu’aux mères.

Le congé paternité par exemple : onze jours, plus trois jours pour la naissance, soit deux semaines pour accueillir un nouveau petit être, ainsi que l’un des plus grands chambardements psychiques possibles. Nous avons pendant quelques mois accompagné un père qui découvrait sa paternité dans un contexte très brutal. La mère de l’enfant ayant déclenché une psychose post-partum, elle ne pouvait s’occuper de leur fille et n’avait droit qu’à des visites médiatisées. Le père devait prendre totalement en charge la fillette, mais comment faire pour son travail ? Il se retrouve alors devant des injonctions contradictoires : sa place est auprès de sa fille, mais également à son travail, dont il a évidemment besoin pour subsister, mais qui surtout, n’a rien prévu pour lui au-delà de ces deux semaines pour découvrir son enfant et son nouveau rôle de père.

Heureusement pour le père et l’enfant, il a pu compter sur sa famille. Elle a pris le relais lorsqu’il travaillait jusqu’à ce que la petite soit en âge d’aller à la crèche. Mais en tant que société, en n’accordant aux pères que deux semaines pour être avec leur enfant, nous leur signifions bien que leur place n’est pas là ; celle-là, c’est celle de la mère. Alors où doit être le père ?

Un autre exemple qui est venu nous questionner est celui des Résidences Mères Enfants (faut-il aller plus loin que l’intitulé ?). Nous ne nions absolument pas qu’elles soient nécessaires dans certains cas, notamment lors de violences intrafamiliales, qu’elles soient conjugales ou sur les enfants. Mais pourquoi ne les envisager que sous le sceau de la maternité ? Si dans certaines de ces résidences, de profondes transformations ont lieu (accueil des deux parents une partie du temps, ce qui est un changement de paradigme total), dans d’autres, le père n’a toujours pas droit de cité, sauf lors des visites. Pourquoi avoir généralisé uniquement ce type d’accueil et surtout, pourquoi ne trouvons-nous aucun lieu d’accueil père-enfants ? Nous l’avons plusieurs fois déploré, comme dans le cas de ce père, prenant en charge seul ses deux filles. Épaulé lui aussi par sa famille, il parvient à leur offrir un quotidien stable, agréable, une bonne éducation et des repères solides. Mais la famille se désengage peu à peu, et il est confronté à des difficultés sociales majeures ; tout vacille. Il ne fait pas les démarches nécessaires à l’obtention d’un nouveau logement, se dit bloqué dans la recherche d’un emploi par le fait qu’il ait la garde de ses filles, parle du possible retour de l’une d’elles chez leur mère, qui pourtant l’a mise en danger. Nous avons évoqué avec lui le possible placement en institution ; est-ce cela qu’il souhaite ? Non, il ne le veut pas, mais il ne sait pas comment s’en sortir. Il est de plus en plus angoissé et ne voit pas d’issue positive, il va bientôt se faire expulser. Un lieu d’accueil père-enfants nous semblerait la solution la plus adéquate. Dans un premier temps, cela répondrait à l’urgence en terme de logement (bien que ce ne soit pas le but de ces structures) et cela permettrait de mettre au travail certaines questions qui avaient peut-être été masquées par la présence de la famille ou qui ont mis plusieurs mois à émerger. Oui, mais cela n’existe pas, il va falloir composer sans.

Ce microcosme qu’est la protection de l’enfance, n’est qu’une des facettes de la société. Il nous semble que ce que nous y retrouvons peut être élargi à la vie quotidienne, classique de chaque parent. Pourquoi n’y a-t-il pas deux lits dans toutes les maternités ? Pourquoi « l’heure des mamans » dans de si nombreuses écoles ?

Le père symbolique, celui qui était là uniquement pour faire tiers dans la dyade mère-enfant, imposer une interdiction de jouissance et une autorité qui n’appartenait qu’à lui, a disparu, il ne fait plus figure d’Autre. La maternité ayant évolué avec la place des femmes dans la société, la dédifférenciation des rôles faisant son œuvre, il semblait logique que cela ait des conséquences sur la façon d’envisager le fait d’être père. Mais peut-être refusons-nous de le voir ? A défaut d’avoir un père symbolique dont nous ne faisons pas le deuil, peut-être nous raccrochons-nous à un père imaginaire, calqué sur l’ancien modèle, dans un costume à la fois trop grand et trop étriqué pour lui. Ceci assigne également la mère à une place particulière, à savoir aux côtés de son enfant, bien avant le père, qui dans cette structure ne fait office que de suppléant affectif et éducatif.   Ce rôle de « parent principal » a commencé à être rejeté, mais il semblerait que ce ne soit pas tout à fait entendu (il suffit de voir le contenu internet sur ce sujet, notamment traité par le prisme de la « charge mentale », qui a trouvé ces derniers temps un certain écho).

Nombreux sont nos voisins européens à avoir pris acte de ces transformations sociales et à en avoir tiré les conséquences. Ainsi, sur le congé parental par exemple, plusieurs pays proposent aux parents de se le répartir entre eux. Les parents semblent être parties prenantes de cette façon de faire, qui permet à chaque couple, parental et conjugal, de s’inventer, de se trouver, de façonner le bricolage qui lui conviendra dans ce moment si crucial. En nous raccrochant à des imagos hérités des générations précédentes, nous construisons de très bons pare-angoisses, certes. Cela rassure de penser savoir où chacun doit se situer, quel est son rôle et sa fonction déterminés, mais ceci n’est que de très courte durée, car nous le constatons, cela ne va pas avec les évolutions sociales, qui se feront avec ou sans les institutions. Cet immobilisme institutionnel met les familles à mal, à divers degrés. La maternité s’est transformée et elle continue de le faire, la paternité se réinvente également malgré les résistances que nous lui opposons. Il serait temps d’accompagner ces changements pour que les pères puissent trouver une posture qui leur convienne, car à ne plus savoir où peut être la place de chacun, ce sont les enfants qui ne trouveront pas la leur ! »

[1] L’enfant est confié de façon judiciaire ou administrative à l’Aide Sociale à l’Enfance, mais son lieu de résidence est fixé chez les / l’un des parents, avec l’aide contrainte de notre service.