ASSOCIATION LAÏQUE D’INTÉRÊT GÉNÉRAL
 
 

Moissons Nouvelles, récolte de jeunes pousses

Moissons Nouvelles, récolte de jeunes pousses
12 janvier 2020 isabelle.duhau

Deux étudiantes en Master 1 de journalisme à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Paris réalisent un reportage sur les maisons d’enfants à caractère social et rédigent un article sur notre établissement de Paris.

Avec leur accord, nous publions leur texte, intéressant regard de deux jeunes adultes sur les missions de la protection de l’enfance et notre prise en charge spécifique des fratries.

 

« Foyer éducatif situé à Crimée, dans le 19ème arrondissement de Paris, Moissons Nouvelles s’occupe de jeunes filles et garçons entre 6 et 21 ans. Répartis en quatre étages en fonction de leur tranche d’âge, tous vivent sur des appartements, tous ont leur chambre et tous sont ici pour des raisons différentes, liés par leur quotidien et leurs histoires respectives. Les regards du corps administratif, éducatif et celui des jeunes se croisent sur l’éducation. Les mêler les uns aux autres par les mots, les unir sur le papier permet d’offrir une nouvelle facette de Moissons Nouvelles.

Une odeur de gâteau au chocolat. La première impression en arrivant au quatrième étage, celui des filles entre 7 et 14 ans, est rassurante. Toutes devant un film, sous leur plaid, une se détache pourtant du reste du groupe. Bénédicte. Arrivée il y a six ans avec ses deux frères, elle nous emmène dans sa chambre pour nous raconter son quotidien. Chambre féminine, lumière tamisée, photos accrochées aux murs : « Des éducateurs, mes copines, ma famille », nous dit-elle. La conversation tourne autour de ses activités, de ses amies, mais aussi autour de la vie au sein du foyer. Tout comme son frère de 17ans, Dieudonné, Bénédicte ne se sent pas assez écoutée. L’entente avec les autres filles de son étage est au rendez-vous, mais l’encadrement administratif, notamment celui de son chef de service, ne lui convient pas. Elle s’attarde sur son manque de considération. Heureusement, les éducateurs et les maîtresses de maison ont un rôle très fort auprès des jeunes. Leur mission est d’allier fermeté et douceur, de les aimer mais aussi de leur fournir, comme le nom de la fonction l’indique, une éducation. C’est d’autant plus marquant dans le cas de Bénédicte qui se tourne vers Ariana, éducatrice référente de Dieudonné, à chacune de ses phrases. La confiance qu’elle lui accorde, le soutien recherché dans ses yeux illustre leur lien. Les maîtresses de maison pallient l’absence de mère. Blandine, s’occupe de l’étage Harlem, celui des garçons entre 14 et 17 ans. De ses dires, elle ne changerait ce rôle pour rien au monde, et d’étage encore moins. Très attachée à chacun des treize garçons, elle tisse un lien particulier avec tous, les écoute, leur permet de se confier. Ils la cherchent du regard quand ils rentrent de l’école, attendent son approbation concernant leurs mouvements, l’aide à préparer à manger et à ranger. « J’ai mes enfants à la maison, et ici ce sont mes autres enfants». Mère de cinq enfants, l’attention qu’elle porte aux jeunes du foyer est très proche de celle vis à vis de ses propres enfants. Pendant ce temps, Matteo épluche des carottes à ses côtés.

L’institution Moissons Nouvelles a pour particularité de concentrer son travail sur les fratries. Le foyer accueille de nombreux frères et soeurs, et fait son possible pour les admettre en son sein en même temps et de les faire grandir ensemble. Bénédicte citée précédemment, Dieudonné et leur petit frère Peggy (11 ans), ont été placés, avant Moissons Nouvelles, dans différentes familles d’accueil. L’impression unanime de ne pas être chez eux, de déranger et d’être observés leur fait dire qu’ils préfèrent le foyer aux familles. A leurs étages, entourés d’autres enfants de leur âge, le sentiment de solitude reste pour autant présent. Dieudonné s’est confié à ce sujet : « On est entourés mais on est seuls. On vit pour nous-mêmes. Je suis le repère de mon frère et de ma soeur, plus qu’eux ne le sont pour moi. J’ai dû remplir un rôle de parent. Et c’est pas normal à mon âge. ». Leur sens aiguisé des réalités les soude malgré tout, en famille ou entre amis, tous unis par des sentiments identiques. Les éducateurs qui travaillent sur leurs différentes problématiques, sont référents de quatre jeunes. Leur bienveillance saute aux yeux, et elle est nécessaire, selon eux, pour exercer un tel métier. Au deuxième étage, lors d’une visite, Benoît, éducateur, se trouve dans son bureau, discute avec Ariana. Ils sont entourés d’une tribu d’enfants, tous prêts à jouer, à les solliciter pour différentes activités, balle de football à la main, curieux de leur conversation. Une odeur de colonie de vacances flotte dans l’air.

Les couloirs nous mènent aux chambres. Chambres dans lesquelles parfois plusieurs lits sont posés au sol par les enfants eux-mêmes, formant un matelas géant, tous désireux de dormir ensemble, comme pour rappeler leur meilleur souvenir commun de l’été dernier. En juillet, éducateurs et enfants sont partis le temps d’une semaine à Paimpol. “On se sentait vraiment en famille”, dit Ibrahima en souriant. Léa, une fille du troisième étage, est dans son lit, regarde une série et se trouve ravie de la visite d’Ariana, auprès de qui elle se confie régulièrement. Les éducateurs déplorent le manque de moyens attribués au social, ce qui ne permet justement pas aux jeunes de partir chaque période de vacances en colonie. Tous deux d’accord sur l’idée qu’ils ne veulent pas plaindre les jeunes, ils sont fermes sur leur accompagnement, tout en restant proches d’eux. Rempli d’espoir quant à son métier, Mounir, un autre éducateur, nous raconte qu’il peut aussi laisser un goût amer en nous parlant de son expérience la plus marquante : « Je m’étais bien occupé de lui, il avait bien grandi, et il a quitté le foyer à ses dix-huit ans. Un mois plus tard je le croisais dans la rue en train de vendre du shit. »

L’univers des enfants est empreint de violence. Leurs parcours ont ce point commun d’avoir été nourri de brutalité, ce qui, ne serait-ce que dans leur vocabulaire, se reflète. Ils arrivent au foyer, abîmés, dans le besoin de se reconstruire. Les éducateurs spécialisés sont des parents de substitution, devant parfois faire face aux échecs. Mais, le travail dans l’objectif une victoire les rendent plus forts, ils se battent tous les jours pour y parvenir.

Quand nous nous rapprochons des garçons du premier étage, ceux entre 14 et 17 ans, tous ont un objectif de vie. Leurs études les comblent et les poussent à se projeter. Ibrahima, venu avec son petit frère, a parcouru l’Europe avant d’arriver à Moissons Nouvelles, certaines années sans être scolarisé. Il parle du foyer et des études comme de chances à saisir pour devenir ingénieur : “Et puis on va pas se mentir, on veut des thunes.” Dieudonné aussi se projette dans l’ingénierie des énergies renouvelables, soucieux du devenir de la planète. Fousseini, le dernier arrivé à l’étage, a du mal à comprendre le français, malgré sa volonté accrue de partager du temps avec les autres, il l’admet, avec un sourire large, mais timide. Son parcours lui permet d’affirmer qu’il se sent bien au foyer, mais la barrière de la langue est difficile à surmonter, comme l’indique son front plissé lorsqu’il ne cerne pas le sens d’une question.

La multiplicité des situations des enfants, des tâches à accomplir, des postes à remplir permet à Maria Leite de n’avoir aucune journée similaire à une autre. C’est ce qu’elle préfère dans son métier. Son rôle est essentiel au sein du foyer. Il est complété par celui de la psychologue de l’institution, Caroline Biais, qui travaille non seulement avec les jeunes, mais aussi avec le corps administratif. Ses méthodes pour apprendre à connaître les enfants consistent à les faire jouer, la plupart du temps à des jeux de société. Pour elle le lien entre eux a un rôle fondateur dans le fonctionnement de Moissons Nouvelles. Alors qu’elle ne force jamais qui que ce soit à être suivi, elle est très touchée par ceux qui manifestent leur envie de la rencontrer. Ces deux femmes sont remplies de douceur, ont un regard franc et travailler dans le social galvanise leur vie.
Toutes les personnes rencontrées sont différentes, tous les enfants ont des problématiques hétéroclites et tout le personnel souhaite faire évoluer, grandir Moissons Nouvelles en s’appuyant les uns sur les autres. Les jeunes restent des enfants, certaines de leurs préoccupations sont matures mais d’autres restent insouciantes. Ibrahima et Dieudonné le signifient justement quand ils parlent de leur temps libre : « Les filles c’est important aussi tu sais. ». Ariana renforce cette dernière parole alors qu’elle est questionnée sur son métier : « Il faut arrêter de dire que c’est un métier compliqué. On n’a pas vécu ce qu’eux ont vécu. Ce qui est beau c’est l’après. On les aide à se reconstruire, à leur faire vivre une vie de jeune. Pas celle où ils s’occupent de leurs frères et sœurs comme leurs parents leur ont dit. L’autre jour y a un gamin qui était tellement heureux d’être allé à sa première soirée. Il a dix-sept ans. ».

Dernière image du foyer, les enfants sont dans la cour de l’établissement, derrière elle, tous ensemble, balle de football au sol, au milieu des feuilles mortes et de l’odeur d’une fin d’automne. »

 

Juliette Sadat et Déborah Grabli